
BioBox 5 sens
Haute École Bruxelles-Brabant
Unité structurelle Defré

Encore aujourd'hui beaucoup de manuels scolaires proposent la cartographie de langue comme activité. Nous avons décidé de vous faire tester cette activité pour démontrer qu'elle n'est pas reproductible.
L'article ci-dessous vous dévoile une partie du mystère ...
Le mythe de la carte de la langue
22 mars 2012 — Marc André Gagnon
Les mythes ont la vie dure dans le monde du vin. Quelqu'un dit ou écrit quelque chose et c'est souvent répété à satiété. Les auteurs répètent ce qu'ont écrit les écrivains précédents. Il en est ainsi du mythe de la carte de la langue. Selon cette croyance, on percevrait les saveurs à des endroits différents de la langue. Le sucré sur le bout, l'acidité sur les côtés, l'amertume au fond et le salé quelque part sur les côtés de ladite langue. Ceci est faux. Cette croyance est due à une erreur de traduction d'une thèse en allemand Zur Psychophysik des Geschmackssinnes, de D.P. Hänig publiée en 1901 et traduite en 1942 par un chercheur de Harvard, Erward Boring. M. Hänig disait tout simplement que les gens qu'il avait interrogés disaient qu' «ils avaient l'impression» qu'ils détectaient les saveurs sur des zones précises de la langue.
Pourtant, cette croyance — cette légende urbaine — dirait-on aujourd'hui, est encore propagée dans Internet et surtout en français!
Selon Cathy Pelletier, de l'Université de Syracuse dans l'État de New York, «nous percevons tous les goûts un peu partout sur la langue».
Les études de Virginia Collings en 1974 et de Linda Bartoshuk en 1994 ont démontré qu'il n'y a pas de zone de la langue spécialisée dans la détection des goûts. C'est plutôt l'ensemble des cellules des bourgeons contenus dans les papilles de toute la langue qui envoient ces informations au cerveau.
«Les goûts sucrés et amers, pourtant antinomiques, peuvent être perçus par les mêmes récepteurs et procurent pourtant une sensation bien différente.» (Cap Sciences)
Annick Faurion, neurophysiologiste de la gustation dit qu'«environ 8 000 bourgeons gustatifs assurent la détection des saveurs. Ils sont présents majoritairement au niveau de la langue, plus précisément des papilles gustatives, mais également dans l'épiglotte, le pharynx et le palais. Ces amas sont constitués de 50 à 125 cellules spécialisées reliées entre elles. Celles-ci se renouvellent tous les 8-10 jours environ, permettant ainsi un maintien du potentiel gustatif, même après une brûlure. Les cellules des bourgeons gustatifs se terminent par de fines microvillosités qui entrent en contact avec les substances sapides dissoutes dans la salive.» (Physiologie du goût sucré)
Mme Faurion ajoute que «contrairement aux croyances populaires, il n'y a pas de zone de la langue associée spécifiquement à une saveur. En effet, une même cellule gustative, quelle que soit sa localisation, est sensible à plusieurs types de stimulus sapides, transmis par une grande variété de récepteurs gustatifs peu spécifiques.» (D Smith, R Margolskee. Le sens du goût. Revue Pour la Science. 2001 ; 283 : 36-43. cité par Annick Faurion)
Pour être plus précis: «Quand une molécule sapide se lie à un type de récepteur, des influx nerveux sont envoyés au cerveau via quatre nerfs. Ces nerfs transmettent une information gustative et somesthésique qui sera traitée dans différentes aires du cortex cérébral et sous-cortical avec d'autres messages sensoriels (notamment olfactifs et somesthésiques) mais aussi des messages hédoniques (plaisir ou dégoût) ou mémoriels, permettant ainsi la formation d'une image multi sensorielle complexe de l'aliment ou de la boisson dégustée.»
Le réputé physico-chimiste Hervé This demande qu'on cesse d'enseigner ces âneries aux amateurs de vin et de cuisine.
Passons maintenant à la théorie fausse de la carte de la langue: les livres sur le vin représentent cette carte en disant que la pointe de la langue perçoit le sucré, les bords antérieurs… Je m’arrête là, car il est facile de faire l’expérience à l’aide de solutions différemment savorisées et d’un compte-goutte: en déposant des gouttes des diverses solutions à différents endroits de différentes langues, il n’est pas difficile de voir que chacun d’entre nous reconnaît différemment les saveurs.
Alors allons-nous longtemps supporter que ces âneries soient enseignées à nos apprentis ou à nos enfants? Le monde de la cuisine devrait revendiquer une remise à plat de ces idées.
Sources:
Beyond the Tongue Map, Evaluating Taste and Smell Perception, ASHA, Cathy Pelletier
Carte blanche à Hervé This, Les mots du goût
The biological basis of food perception and acceptance, Linda Bartoshuk, Yale University School of Medicine
Human taste response as a function of location of stimulation on the tongue and soft palate. Collings, V. B. 1974
The Tongue Map: Tasteless Myth Debunked, Live Science
Really? The Claim: Tongue Is Mapped Into Four Areas of Taste, New York Times
Les sens du goût, Cap Sciences
La localisation des goûts, sur la langue et dans notre cerveau
Physiologie du goût sucré, Annick Faurion, i-Diététique.pro
The Taste Map: All Wrong, Scientific American
Tongue Map, Wikipedia
Zur Psychophysik des Geschmackssinnes, de D.P. Hänig, 1901
Sensation and perception in the history of experimental psychology. Boring, E. 1942. New York: Academic Press
Physiologie de la gustation, Annick Faurion. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Oto-rhino-laryngologie, 20-490-C-10,2000, 15
Ce texte est une refonte d'un texte que j'avais écrit en 2007.
